Monday, June 29, 2009

les jeunes et l'ecran

La recherche comparative européenne consacrée aux enfants et aux jeunes dans un paysage audiovisuel en évolution a mobilisé onze pays. Chercheur au CNRS, Dominique Pasquier a dirigé l’équipe française. Les résultats de cette étude montrent que, dans tous les pays, la télévision reste le média dominant à la fois en termes d’équipement, de fréquences des pratiques, et de durée d’utilisation, y compris dans les pays qui ont des taux d’équipement en informatique domestique très supérieurs et plus anciens (par exemple : Hollande, Danemark, Suède, Finlande). L’enquête montre que les dynamiques familiales autour de la télévision sont très différentes de celles qui caractérisent les pratiques de l’ordinateur et des consoles. Non seulement la télévision est l’objet de beaucoup plus de pratiques collectives au sein du foyer que ne le sont les nouveaux écrans, mais surtout elle constitue un lien fort entre générations et entre sexes, ce qui n’est pas le cas des consoles et des ordinateurs. Les contextes familiaux d’utilisation très différents expliquent en grande partie les moindres fréquences d’utilisation des nouveaux écrans. Il y aura sûrement une part de déplacement dans les pratiques, de la télévision vers les écrans informatiques, mais elle ne sera sans doute pas aussi importante que tendent à le prétendre les discours actuels. L’ordinateur ne peut pas remplir les mêmes fonctions sociales que la télévision au sein de la cellule familiale. Ce résultat amène à reconsidérer les limites de sa progression dans le cadre domestique.

Il existe d’importantes disparités dans les usages selon les sexes, notamment autour des consoles de jeu et de l’informatique. Les résultats internationaux montrent que ces écarts ne se sont pas comblés dans les pays où l’équipement en informatique domestique est plus ancien et plus élevé, et même que dans certains cas, ils sont plus importants qu’en France (c’est le cas de la Suède, de la Finlande et du Danemark). La sphère médiatique des filles s’articule autour de pratiques fondées sur le lien (téléphone et télévision) et l’émotionnel (musique, lecture). Elles sont sous-équipées et sous-utilisent tous les médias nouveaux comme l’ordinateur et les consoles, s’estiment moins compétentes comme « personne ressource » sur ces médias, pratiquent moins les jeux que les garçons, sont moins incitées par leurs parents à se servir d’un ordinateur. On peut supposer toutefois que le développement des usages diversifiés de l’ordinateur avec Internet pourrait offrir aux filles des espaces d’usage de l’ordinateur mieux appropriés que les jeux auxquels elles s’intéressent nettement moins que les garçons.

Les équipements des foyers en ordinateur montrent de grosses variations selon l’origine sociale et selon les pays. Ce sont de petits pays qui sont les mieux équipés (Pays Bas, Danemark, Belgique, Suède) et de manière générale les pays scandinaves ont un taux d’équipement beaucoup plus élevé que les autres. Ailleurs qu’en Europe du Nord, l’équipement foyer en ordinateur est fortement corrélé à une origine sociale élevée. Le parc domestique informatique français est un des plus bas en Europe, avec celui de la Grande Bretagne, de la Suisse et de la Belgique. Mais surtout c’est un des parcs les plus anciens, avec très peu de C.D. Rom et de modems.

L’enquête montre des évolutions dans les équilibres entre pratiques collectives et pratiques individuelles au sein des foyers, et pose la question de l’effet de la privatisation croissante des équipements dans la chambre des enfants. Les équipements dans la chambre des enfants varient grandement d’un pays à l’autre : ils concernent deux enfants sur trois en Grande Bretagne et Danemark, contre un sur trois ou moins en France, Suisse et Belgique. La présence de la télévision dans la chambre est liée au sexe masculin dans tous les pays, et elle est partout plus fréquente chez les enfants les plus âgés. Dans la majorité des pays la présence d’une télévision dans la chambre de l’enfant est plus fréquente dans les milieux défavorisés.

On constate trois phénomènes :

  • la baisse des liens intergénérationnels avec les nouveaux médias, sauf dans les classes supérieures où de nouveaux liens père/fils se sont créés autour de l’ordinateur;

  • de nouvelles segmentations de la sociabilité familiale par sexe, avec une sphère masculine autour des jeux vidéo et de l’ordinateur et une sphère féminine qui reste centrée sur la musique, la télévision et le téléphone;

  • la plus forte pénétration de la sociabilité amicale dans le foyer : les jeunes disent aller beaucoup plus souvent chez leurs amis ou recevoir ces derniers chez eux, pour pratiquer des jeux sur console ou ordinateur, qu’ils ne le font pour aller regarder un programme de télévision.

La coupure générationnelle, qui s’exerce en faveur de la sociabilité amicale, entraînera certainement des changements importants dans la régulation parentale sur les médias domestiques, et risque de disqualifier plus particulièrement les parents des familles les plus défavorisées qui entretiennent une relation beaucoup plus distante à l’informatique que les parents des familles favorisées.

Les interactions entre pratiques des différents médias ne sont pas corrélées aux fréquences d’utilisation mais aux durées des sessions d’utilisation (soit le temps passé le jour où on utilise un média). Dans tous les pays les croisements entre pratiques montrent :

  • que la pratique des écrans n’exerce pas d’effet négatif sur les pratiques de lectures de livres sauf dans le cas des pratiquants très intensifs qui ont de longues durées de session;

  • que chez ces pratiquants très intensifs il existe une forte « cumulativité » des pratiques de la télévision, des consoles et de l’ordinateur, celle entre télévision et console étant plus forte que celle entre télévision et ordinateur;

  • que les pratiquants très intensifs présentent un profil particulier par rapport aux autres : ils sont plus que les autres en conflit avec le monde scolaire, moins positifs sur les relations avec leurs parents, et jugent insatisfaisantes les opportunités qu’offre leur environnement géographique. En revanche ils sont plus sociables que les autres enquêtés avec une très forte sociabilité de groupe, et ont de meilleures perceptions d’eux mêmes que les gros lecteurs de livres.

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